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Dossier : Persistance de l’Ukraine

Le rock résiste au Bélarus et en Russie
Entretien avec Yauheni Kryzhanouski


par Marieke Louis , le 21 avril 2023


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Apparu avec la Glasnost, le rock s’est peu à peu dépolitisé en Russie et au Bélarus, mais reprend le chemin de la contestation avec la guerre, le plus souvent au prix de l’exil.

Docteur en science politique, Yauheni Kryzhanouski est l’auteur de Contester par la musique sous régime autoritaire. La politisation du rock au Bélarus, Éditions du Croquant, 2022, et a co-dirigé avec Dominique Marchetti, Bella Ostromooukhova L’invisibilisation de la censure. Les nouveaux modes de contrôle des productions culturelles (Bélarus, France, Maroc et Russie), Paris Sorbonne Université (2020).

La Vie des idées : Qu’est-ce qu’une musique contestataire dans des pays comme la Russie ou le Bélarus ?

Yauheni Kryzhanouski : C’est une très large question. La tradition de la musique populaire contestataire remonte au moins aux années 1980 dans ces États qui faisaient alors partie de l’URSS. C’est surtout dans des scènes de la musique rock qu’on retrouve alors une certaine opposition d’abord au mode de vie soviétique, et ensuite aux autorités, y compris à cause d’une certaine mythologie contestataire qui entoure le phénomène du rock, ce qui est aussi le cas en Occident. Il s’agit du style musical « non-conformiste » probablement le plus populaire à l’époque.

En Russie, surtout à Leningrad et à Moscou à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (et dans l’Oural et en Sibérie un peu plus tard) se cristallise le mouvement « underground » russe. Ce mouvement se distingue par un positionnement en dehors de l’activité musicale professionnelle encadrée et régulée, et en dehors aussi des conventions esthétiques assez strictes qui définissaient le rock « légitime » en URSS alors, sous la forme d’ensembles vocaux-instrumentaux (VIA) : pas de distorsion électrique, niveau de son limité, posture et comportement des musiciens sur scène modestes et non provocateurs, etc.

« Sprouzhyna » (Ressort, 2016), chanson acoustique de Stas Patchobout, pionnier de la scène anarcho-punk biélorusse (leader du groupe Deviation), parle de la volonté intransigeante de rébellion contre le pouvoir sur plusieurs exemples historiques (opposition à Loukachenko au Bélarus, guerre d’Espagne, dissidence antistalinienne en URSS) ; les contestataires sont comparés au ressort tendu qui menace d’une manière inévitable la structure du pouvoir. La vidéo comprend des cadres des manifestations contestataires de 2020.

Il y a toujours des débats sur le caractère politique de l’underground russe des années 1980, certains spécialistes lui prêtant un caractère militant et oppositionnel, d’autres nuançant cette vision en précisant qu’au début des années 1980 le projet artistique de ces musiciens était surtout de s’extraire du contexte social et culturel soviétique, en ignorant les débats et sujets politiques. Cependant, force est de constater qu’une certaine approche non-soviétique, alternative, déterritorialisée de la création artistique rentrait en contradiction directe avec les postulats du réalisme socialiste et avec le « système de l’administration de la culture » qui s’appuyaient sur les principes du marxisme-léninisme et étaient subordonnés à l’objectif de la construction de la société communiste et de l’homme nouveau. Cette contradiction avec l’orthodoxie idéologique produisait inévitablement des effets d’ordre politique, indépendamment des motifs et des intentions des artistes. De plus, avec le début de la Pérestroïka et la proclamation de la politique de Glasnost (liberté de parole) en 1986, on assiste à une politisation plus explicite et radicale de ces mouvements underground.

« À ma génération » (Moemu pokoleniiu, 2023), chanson ouvertement contestataire d’ Arsenij « Krestitel » (Baptiste), leader du groupe Sonic Death et fondateur de la scène indy russophone à Saint-Pétersbourg. Dans cette chanson il fait état des espoirs trahis de sa génération (il a 37 ans), accuse les autorités russes de la guerre injuste et soutient le côté ukrainien (en citant le salut national ukrainien « Gloire à l’Ukraine », en chantant « Poutine va en enfer », et en attendant que les « [chars allemands] Léopard soit livrés à l’Ukraine »)

Au Bélarus, des groupes rocks indépendants émergent au début des années 1980, dans les pas de l’underground russe, mais aussi inspirés des scènes centre-européennes, surtout celle polonaise (à cause de la proximité linguistique et géographique), déjà bien établie. Mais, comme en Ukraine, le rock bélarusse possède alors une importante spécificité par rapport à la Russie. Ce mouvement musical apparait sur fond de l’émergence d’un mouvement social de « renaissance nationale » qui réunit un ensemble d’initiatives relativement autonomes par rapport au parti-État. Un des objectifs de ce mouvement est de réaliser une synthèse entre les activités culturelles et l’engagement politique, en vue de promouvoir une version de l’identité nationale biélorusse distincte de celle officiellement admise en URSS (unité des peuples slaves sous le patronage russe). Cette nouvelle version souligne la spécificité de l’histoire, de la langue et de la culture nationales du peuple bélarusse par rapport au « grand frère » russe. Il est logique que le genre musical rock, populaire parmi les jeunes et entouré d’une aura occidentale, non-soviétique voire contestataire, fût un support idéal pour ce projet. Et le choix linguistique en faveur du bélarusse fait par plusieurs groupes rock en dehors de l’encadrement administratif et esthétique n’était pas anodin dans le contexte des années 1980 marqué par des luttes symboliques autour de l’identité nationale. À partir de ce moment, les liens s’établissent entre la scène rock bélarusse et des initiatives de renaissance nationale, ces dernières se politisant progressivement pour donner lieu au principal mouvement autonomiste et ensuite indépendantiste du pays à la fin des années 1980-début des années 1990.

La première moitié des années 1990 est la période où le caractère contestataire des mouvements rock au Bélarus comme en Russie se perd – le processus que j’appelle « consensualisation du rock ». Il est intéressant que pour des causes diverses, dont la concurrence accrue de la part des musiques occidentales désormais librement accessibles et le passage vers le système de marché, cette même période est perçue comme celle du déclin des scènes rock locales. Ce déclin est concomitant avec la perte de caractère contestataire et y est souvent associé dans les représentations des musiciens et des critiques.

À partir de 1994-1995, les trajectoires contestataires des mouvements dans deux pays bifurquent, car au Bélarus le rock indépendant se repolitise rapidement pour s’opposer à l’arrivée au pouvoir d’Alexandre Loukachenko et surtout à ses réformes autoritaires d’inspiration vaguement soviétique. Les grandes manifestations des années 2020-2021 ont pour une nouvelle fois confirmé cette tendance : les rockers ont massivement soutenu le mouvement social, en jouant pendant les actions de rue ou devant les institutions en grève, et en prenant position dans les médias et sur les réseaux sociaux.

En Russie la tendance au retour de la contestation dans les scènes musicales devient vraiment sensible à partir de la fin des années 2000 (dans le cadre des élections présidentielles de 2008 et de 2012). Cette repolitisation contestataire a été notamment portée sur le devant de la scène médiatique, y compris internationale, par l’affaire Pussy riot en 2012, mais ce groupe ne fait pas exception. On observe à la fois l’émergence de nouveaux artistes contestataires et des réengagements des leaders de l’underground soviétique des années 1980. Cette tendance se renforce clairement pendant deux événements : l’annexion de la Crimée en 2014 et l’agression russe en Ukraine lancée en 2022.

Lavon Volski, « Ennemis du peuple » (Vorahi Narodu, 2020), chanson d’une des principales figures de la scène biélorusse rock écrite et sortie dans la foulée des manifestations contestataires de 2020 au Bélarus et dénonçant les répressions contre les manifestants. Dans la vidéo, de gros plans de fragments de l’Enfer du Jardin des délices de Jheronimus Bosch s’alternent avec les cadres de violences policières.

La Vie des idées : Peut-on dire qu’il y a un lien spécifique entre le rock et la contestation dans ces contextes autoritaires ?

Yauheni Kryzhanouski : Ces affinités entre la contestation et le rock dans les dictatures postsoviétiques constituent en partie une spécificité du paysage culturel et politique local. Cependant, dans le contexte actuel il faut quelque peu nuancer cette vision héritée de l’engouement des journalistes et chercheurs occidentaux pour le « Pérestroïka rock » des années 1980. D’un côté, même dans les pays occidentaux et relativement démocratiques, en règle générale le rock se caractérise plus souvent par des prises de position contestataires que les autres genres de la musique populaire. La contestation est un moyen assez simple pour les groupes de revendiquer leur authenticité qui les différencierait de la musique de variété à l’objectif purement commercial.

D’un autre côté, au Bélarus et en Russie, il reste de nombreux groupes et scènes rock apolitiques, voire loyaux envers les autorités. Et la contestation peut s’exprimer par certains collectifs et artistes hip-hop, électro voire des variétés. Mais il est vrai qu’on peut parler d’une tradition établie où la conformité au principe d’authenticité qui différencie le « vrai rock » des autres genres de la musique populaire commerciale passe ici par l’expression du désaccord avec les dictatures en place. En d’autres termes, on ne peut pas dire que la scène rock est impérativement et entièrement contestataire en Russie et au Bélarus, loin de là. Mais des attentes de prises de position contestataires sont placées dans ces scènes musicales – au point que l’on attribue parfois des significations politiques à l’expression des musiciens, indépendamment de leurs intentions affichées. Et de plus, la gamme de ce qu’on pourrait appeler l’hétérodoxie politique est bien plus large qu’en Occident. La contradiction avec la vision officielle sur de très nombreux sujets – par exemple l’histoire de l’URSS, les revendications linguistiques ou les questions de genre – y est déjà perçue comme une expression de contestation.

La Vie des idées : La musique pop est-elle dynamique dans ces pays ? rencontre-t-elle un grand succès, notamment auprès des jeunes ?

Yauheni Kryzhanouski : Il est très difficile de répondre à cette question. D’un côté, on a l’impression que la situation n’est pas essentiellement différente des autres pays européens. On y écoute toutes sortes de musique, de diverses origines et de différents types, a priori il n’y a aujourd’hui plus de genres qui seraient illégitimes du point de vue esthétique – sauf des cas extrêmes comme black metal, death metal, grindcore etc., mais qui restent aussi marginaux sur la scène occidentale.

D’un autre côté, il existe des freins au développement de la scène musicale locale, surtout si l’on parle des artistes contestataires. Il y a tout un système de restrictions – souvent informel, décentralisé – qui défavorise la création artistique dès qu’elle est jugée critique par rapport aux autorités. Pendant les périodes particulièrement intenses de la polarisation politique, comme maintenant, les groupes contestataires disparaissent des grands médias et ne peuvent plus trouver une scène pour jouer des concerts dans leur pays.

Au Bélarus, à la concurrence de la part de l’Occident se rajoute l’enjeu de la domination des musiques russes et ukrainiennes, le show business dans ces pays étant beaucoup plus développé. L’infrastructure du point de vue des clubs, salles de concert et studios est assez faible aussi. Mais il y a des groupes qui jouent dans la quasi-totalité des genres contemporains, du rock garage psychédélique au trip-hop et musiques électroniques.

La spécificité de la Russie et du Bélarus de ce point de vue est que la situation du marché musical est distordue par les interventions de l’État, restrictions et autres formes de censure au sens large qui défavorisent les artistes qui prennent position contre les autorités.

La Vie des idées : Qu’a changé la guerre en Ukraine pour les artistes déjà mobilisés contre le régime OU ces deux régimes ?

Yauheni Kryzhanouski : La guerre en Ukraine a tout d’abord provoqué une vague des prises de position de la part de musiciens russes et bélarusses contre ce conflit et le rôle que les autorités russes y jouent. Parmi ceux et celles qui s’opposent à la guerre on retrouve, bien sûr, avant tout des « usual suspects », artistes qui sont justement issus des scènes plus ou moins engagées ou qui en tout cas s’étaient déjà exprimés contre les régimes ou les autorités en place. La politisation contestataire se réalise par vagues : au Bélarus d’abord à partir de 1995-1996 après l’arrivée d’Alexandre Loukachenko au pouvoir, ensuite à l’occasion des grandes manifestations post-électorales de 2006, 2010 et 2020.

En Russie on peut plutôt parler des vagues post-électorales de 2008 et 2012 (dans le cadre des manifestations de la place Bolotnaïa), ainsi que de celle qui suit l’annexion de la Crimée en 2014. De ce point de vue, le début de la guerre d’agression en Ukraine, à laquelle participent les régimes des deux pays, a provoqué une nouvelle vague de politisation contestataire dans la musique.

Il faut mentionner que la contestation artistique de la guerre se fait surtout en exil. De nombreux artistes russes qui se sont prononcés contre la guerre ont dû quitter leur pays sous risque d’être poursuivis pour « la discréditation de l’armée », délit passible de longues peines de prison ferme et autres sanctions qui menacent ceux qui s’opposent à la guerre ou emploient ce mot pour qualifier le conflit actuel en Ukraine. Au Bélarus, les grandes figures de la scène contestataire étaient déjà partis à l’étranger pour éviter les poursuites, y compris judiciaires, et pour pouvoir continuer leur activité artistique suite à une vague des répressions qui a submergé le pays pour étrangler le mouvement social de 2020-2021.

Cette émigration forcée impose des limites (en termes de contacts avec le public, de l’intégration dans un nouveau contexte professionnel et culturel et du point de vue matériel), mais libère la parole.

La Vie des idées : La guerre a-t-elle contribué à une politisation de groupes qui jusqu’ici ne s’étaient pas explicitement exprimés contre le régime de Vladimir Poutine ? Quelle forme prend cette politisation ?

Yauheni Kryzhanouski : Oui. On peut dire que les vagues de politisation de l’art en Russie et au Bélarus ont une double dimension – l’intensité et l’extension. Premièrement, elles relancent l’activité des artistes dissidents, en rendant souvent leur expression plus radicale, plus aiguë, en réaction à chaque situation d’injustice et à la polarisation de la société face à des événements politiquement marquants : manifestations post-électorales et leur répression, annexion, guerre. Deuxièmement, elles élargissent à chaque fois le cercle d’artistes qui « passent à l’acte ». Dans le cas de la guerre en Ukraine, c’était surtout vrai pour les artistes russes, car les scènes bélarusses ont déjà été galvanisées par les manifestations de 2020-2021. En 2022, en Russie, les rangs des générations soviétique et anti-Poutine (de 2008-2014) ont été rejoints par d’autres artistes, issus du rock, mais aussi du hip-hop ou même des variétés.

Parmi les instruments de l’expression de la contestation de la guerre en Ukraine on peut citer, généralement, trois formes d’expression. Au premier lieu on trouve le mode de contestation le plus direct – les déclarations que les artistes font dans la presse, durant les interviews et sur les réseaux sociaux. Ces déclarations ont été faites très rapidement, souvent dès le premier jour de l’agression. Par exemple, Boris Grebenshchikov, leader du groupe Akvarium (aquarium) et une majeure figure du rock russe et soviétique, a été l’un des premiers à prendre la parole le 24 février 2022 sur sa page Facebook où il a écrit « Cette guerre est une folie et une honte pour la Russie ». Andreï Makarevitch, autre éminence du rock russe actif depuis les années 1970, leader du groupe Mashina vriemieni (machine à voyager dans le temps), a publié des messages accusant les autorités russes et Vladimir Poutine personnellement et dressant des parallèles avec l’Allemagne nazie. Les rockers biélorusses n’étaient pas en reste, les groupes Petlia Pristrastiia (état de manque) et Nizkiz, par exemple, ayant inséré dans leurs clips vidéo sur leurs chaînes Youtube respectives le message en russe et en anglais « Pendant que tu regardes cette vidéo, des Ukrainiens meurent sous les bombardements par la Fédération de Russie. Arrête cela ! », Lavon Volski et Siargej Mikhalok ont appelé les militaires biélorusses à ne pas participer à la guerre et ont insisté sur le caractère inévitable de la défaite de la Russie.

« Vorozhba » (Sorcellerie, 2022) de Boris Grebenshchikov, éminence du rock russe et soviétique depuis les années 1970, évoque, entre autres visions sinistres « les cercueils [qui] ont poussé dans nos cœurs » et qu’« il n’y a plus aucun demain »

Le deuxième support des prises de position est la composition de chansons qui dénoncent la guerre. Plusieurs titres contestataires et pacifistes ont été publiés par les musiciens russes, comme « Vorozhba » (sorcellerie) de Boris Grebenshchikov susmentionné qui évoque « les cercueils [qui] ont poussé dans nos cœurs » et qu’« il n’y a plus aucun demain ». Le groupe Nogu svelo a publié toute une série de chansons dénonçant explicitement l’invasion russe et évoquant la responsabilité des autorités et des concitoyens qui soutiennent l’agression. Noize MC, artiste qui fusionne le rock et le hip-hop, a aussi composé et interprété une nouvelle chanson, « Ausweis », où il insiste sur la responsabilité des citoyens russes dans le conflit (« Ne te blanchis pas, tu es coupable aussi »). Après une série de prises de position pacifistes, la chanteuse rock Zemfira, star des années 2000, a sorti la chanson « Rodina » (Patrie), construite autour de la phrase « On va t’apprendre à aimer la patrie », en référence au discours chauviniste véhiculé par les autorités, l’armée et les mouvements patriotiques en Russie. L’un des fondateurs de la scène indy russophone Arsenij « Krestitel » (Baptiste) Morozov a quitté le pays avec son groupe très influent dans les cercles underground Sonic Death et a enregistré des chansons en ukrainien ou aux textes explicitement contestataires (pour la première fois dans sa carrière qui avait été plutôt marquée par la poésie abstraite ou cryptique, aux thèmes sentimentaux ou occultes).

Des artistes bélarusses, eux, peuvent soutenir ouvertement le côté ukrainien dans le conflit, comme le vétéran du rock Lavon Volski, actif depuis le début des années 1980, qui a enregistré, ensemble avec la participation d’Aleksandr Pamidoraŭ, du frontman du groupe Daj darogu (laisse passer) Yury Stylski, et du chanteur-compositeur polonais Tomasz Organek, le titre « Heroiam slava » (gloire aux héros), qui reprend le salut national ukrainien. Yuri Stylski, lui, a exprimé l’espoir de la défaite russe qui pourrait précipiter la chute du régime politique bélarusse dans sa chanson « Praz vyzvalenne Ukrainy » (par la libération de l’Ukraine) consacrée au bataillon Kastus’ Kalinoŭski qui regroupe des volontaires biélorusses dans l’armée ukrainienne. Le message principal ici est que le Bélarus pourrait devenir libre après et grâce à la libération de l’Ukraine.

Le troisième mode notable d’expression de l’opposition à la guerre est l’organisation de et participation à des concerts caritatifs à connotation pacifiste – bien évidemment, ces concerts ne peuvent se tenir qu’à l’étranger. Ainsi, par exemple, deux grandes tournées européennes anti-guerre ont été organisées par des musiciens russes dès printemps 2022 : Russians against war du rappeur Oxxxymiron et Voices of peace par Liza Monetotchka (petite pièce de monnaie) et Noize MC. Dans les deux cas les recettes étaient destinées aux fondations d’aide aux réfugiés ukrainiens.

Après une série de prises de position pacifistes, la chanteuse rock Zemfira, star des années 2000, a sorti la chanson « Rodina » (Patrie, 2023), autour de la phrase « On va t’apprendre à aimer la patrie », en référence au discours chauviniste véhiculé par les autorités, l’armée et les mouvements patriotiques en Russie.

La Vie des idées : Peut-on mesurer les effets de cette contestation émanant de la scène musicale, notamment sur la société civile russe ?

Yauheni Kryzhanouski : Au niveau collectif, il est très difficile de répondre à cette question. Elle nous replonge dans les débats sur la chute de l’empire soviétique. Est-ce que le rock a fait détruire le mur de Berlin et a fait exploser l’URSS ? ou étaient-ce la pérestroïka et la glasnost ? ou la fin de la doctrine Brejnev ? ou la visite de Jean-Paul II en Europe centrale ?

En tout cas, les prises de position par les musiciens répondent souvent aux attentes du public, des médias et de la société civile, en confirmant aussi des citoyens russes et bélarusses dans leur choix contestataire s’ils l’avaient déjà fait. Ces prises de position inscrivent aussi l’engagement actuel dans une histoire des luttes pour la liberté et l’autonomie menées dans ces deux pays depuis plus de 40 ans.

Au niveau individuel, je connais personnellement des cas où de futurs militants se sont ralliés à une certaine idéologie contestataire et se sont lancés dans l’action collective au Bélarus et en Russie à cause de leur intérêt initial pour la musique, surtout dans les scènes punk. D’un autre côté, le fait qu’ils se tournaient vers ces scènes pouvait déjà témoigner de certaines tendances non-conformistes. Les scènes musicales peuvent néanmoins consolider ces tendances et démontrer qu’on n’est pas seul à ressentir l’aversion envers les autorités de son pays, envers leurs représentants et envers des choix qu’ils font.

« Heroiam slava » (gloire aux héros), chanson en ukrainien de Lavon Volski, avec la participation d’Aleksandr Pamidoraŭ, Yury Stylski, et Tomasz Organek. Le refrain reprend le salut national ukrainien (Gloire à l’Ukraine – Gloire aux héros) ; la chanson exprime le soutien à l’Ukraine dont le peuple possède une forte volonté de conquérir sa liberté.

par Marieke Louis, le 21 avril 2023

Pour citer cet article :

Marieke Louis, « Le rock résiste au Bélarus et en Russie. Entretien avec Yauheni Kryzhanouski », La Vie des idées , 21 avril 2023. ISSN : 2105-3030. URL : https://mail.laviedesidees.fr/Le-rock-resiste-en-Russie

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