Recherche

Dossier Société International Sciences

L’eau : les tensions d’une ressource


par Pauline Guéna & Damien Larrouqué , le 14 mai


eau

Des sécheresses plus longues aux inondations plus fréquentes, l’eau devient un sujet de préoccupation majeur. Les perturbations croissantes du cycle de l’eau mettent à rude épreuve les modes de gestion actuels, aussi bien techniques que politiques, hérités d’une période de moindre tension.

La ressource hydrique, « l’or bleu », est une ressource à part. Essentielle à toute forme de vie, elle est aussi nécessaire pour presque tous les secteurs de l’activité humaine, de l’agriculture à l’industrie. Les progrès techniques l’ont rendue disponible en grande quantité dans des villes construites au cœur des déserts, de Phoenix à Dubaï, ou pour des agricultures fondées sur une irrigation très intensive, de l’Espagne à Israël. Une situation qui est loin d’être inédite dans l’histoire de l’humanité – puisque les techniques d’adduction d’eau à grande échelle existent depuis plusieurs millénaires – mais qui s’est largement accentuée et imposée sur la surface du globe depuis le début du XIXe siècle. Dans le même temps, près d’un quart de l’humanité n’a pas accès à l’eau du robinet, et près de 10% (des femmes pour l’essentiel) doit encore parcourir un trajet de plus de 30 minutes aller-retour pour approvisionner leur famille en eau.

Cependant, l’accélération du changement climatique a déjà commencé à compliquer le stockage d’une eau qui tombe plus rarement et plus fort, s’évapore vite et pénètre moins dans les sols. Ces changements affectent de manière différente les régions du globe, frappant par exemple d’une sécheresse plus intense les latitudes qui s’étendent du sud de l’Europe au nord du Sahara. Mais jusqu’au cœur de l’Europe, longtemps préservée par son climat et par ses infrastructures, la question de la recharge des nappes phréatiques s’impose à présent comme un sujet d’actualité médiatique légitime, et ce tout au long de l’année. Sans avoir jamais cessé d’être un sujet politique, l’eau catalyse aujourd’hui différents discours sur des voies d’adaptation possibles, qui tout en reprenant le lexique assez passe-partout de la transition, peuvent aussi s’opposer frontalement quant aux choix d’avenir privilégiés.

À la question de la quantité s’ajoute celle de la qualité de la ressource – un problème ancien puisque près d’un tiers de la population mondiale n’a toujours pas accès à une eau saine en quantité suffisante tout au long de l’année, avec des conséquences mortelles en particulier pour les plus pauvres, et surtout pour les plus jeunes. Dans les régions plus riches, où des infrastructures de qualité tendent à écarter progressivement le spectre des eaux malsaines depuis la fin du XIXe siècle, d’autres conflits se préparent à changer d’échelle. En particulier à mesure que l’on prend conscience de la réactivité très différenciée des autorités publiques face à certaines pollutions agricoles ou industrielles pourtant démontrées – des eaux de surface polluées aux nitrates dans de nombreuses zones rurales jusqu’à la persistance des PFAS dans les aquifères de plusieurs régions industrielles. Tous les intérêts en présence savent que le partage des eaux devra passer par des arbitrages, car sans opposer schématiquement l’économie à la société, il s’agit de construire des normes qui soient viables à long terme.

Face à ces enjeux, des solutions existent. La première restera toujours la limitation des gaz à effet de serre, dans un modèle où chaque demi-degré compte, pour limiter entre autres les conséquences sur le cycle de l’eau. Les solutions techniques gagnent aussi du terrain, à l’image du dessalement de l’eau, en croissance rapide puisque 97% de l’eau présente sur terre est salée, mais coûteuse en énergie fossile et génératrice de pollutions qui incitent l’essentiel de la communauté scientifique à se méfier de cette maladaptation. La réduction de la consommation est un objectif qui fait plus largement consensus. Par l’amélioration des infrastructures d’adduction, qui peuvent générer beaucoup de pertes, par un traitement plus systématique des eaux usées, auquel de nombreuses régions en situation de stress hydrique se sont appliquées très tôt. Mais aussi par une moindre utilisation aussi bien individuelle qu’agricole et industrielle. En effet, là où les « guerres de l’eau » sont un risque identifié de longue date – qui souvent s’ajoute à des situations de tension géopolitiques antérieures –, les répartitions régionales entre différents acteurs sont également un enjeu majeur de justice sociale.

Or il est parfois difficile de représenter tous les partis en présence, dont l’information comme les capacités d’organisation et d’accès aux institutions sont très inégales. Et ce d’autant plus que la tendance actuelle est à l’augmentation des privatisations, poussée à l’extrême en France où 60% des services d’eau et d’assainissement sont privatisés, mais qui progresse aussi à l’échelle mondiale, dans des contextes très différents. Qui, alors, a voix au chapitre, et jusqu’où intégrer les demandes des divers usagers, mais aussi les droits des générations futures, ainsi que les droits juridiques naissants accordés à la nature ?

Face à ces enjeux, les textes réunis dans ce dossier visent à multiplier les points de vue sur les usages actuels de l’eau, ainsi que sur les organisations techniques, économiques et politiques qui sous-tendent l’accès à cette ressource. Puisque chaque société construit son rapport à l’eau en fonction d’une série de contraintes, et que le changement climatique modifie la donne rapidement, la question de l’eau est une entrée cruciale pour mesurer nos capacités d’adaptation.

Les articles du dossier

par Pauline Guéna & Damien Larrouqué, le 14 mai

Pour citer cet article :

Pauline Guéna & Damien Larrouqué, « L’eau : les tensions d’une ressource », La Vie des idées , 14 mai 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://mail.laviedesidees.fr/L-eau-les-tensions-d-une-ressource

Nota bene :

Si vous souhaitez critiquer ou développer cet article, vous êtes invité à proposer un texte au comité de rédaction (redaction chez laviedesidees.fr). Nous vous répondrons dans les meilleurs délais.

Partenaires


© laviedesidees.fr - Toute reproduction interdite sans autorisation explicite de la rédaction - Mentions légales - webdesign : Abel Poucet