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Recension Histoire

Le 9 Thermidor minute par minute

À propos de : Colin Jones, La chute de Robespierre. 24 heures dans le Paris révolutionnaire, Fayard


par Michel Biard , le 10 juin


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Colin Jones replace dans sa contingence le récit du 9 thermidor an II (27 juillet 1794), jour du coup de force à la Convention nationale contre Robespierre et ses partisans, en écartant toute idée de conjuration ou de révolte populaire.

Dans le cadre de la célèbre collection des « Trente journées qui ont fait la France », publiée chez Gallimard à partir de 1959 et dirigée par Gérard Walter, celui-ci avait rédigé le volume intitulé La Conjuration du 9 thermidor, sorti des presses en 1974 (l’année de son décès). Sans avoir la qualité de quelques autres dans cette collection, dont le Dimanche de Bouvines de Georges Duby, ce volume avait le mérite de centrer le regard sur la journée précise du 9 thermidor. Depuis, Françoise Brunel a publié sa courte mais remarquable synthèse Thermidor. La chute de Robespierre (Éd. Complexe, 1989), livre qui reste aujourd’hui encore une référence majeure.

Avec cet ouvrage de Colin Jones, professeur émérite à l’Université Queen Mary de Londres et qui a beaucoup écrit sur l’histoire de la France des Lumières et de la Révolution, le projet est encore plus resserré que celui de Gérard Walter en son temps. Publié originellement en anglais en 2021, son livre propose aux lecteurs de suivre le 9 thermidor de minuit à minuit (et un peu au-delà) ; aussi est-il scindé en cinq parties rythmées par des horaires (de minuit à 5h, de 5h à 12h, etc.). L’idée est piquante, même si elle n’entre guère dans les usages des historiens de ce côté de la Manche, et l’ouvrage peut presque apparaître comme un « thriller » grâce à une tension narrative tenant les lecteurs en haleine.

Donner chair au récit

Arrestation des robespierristes à l’Hôtel de Ville, le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Au centre de l’image, le gendarme Merda tire sur Robespierre. Détail d’une gravure coloriée de Jean-Joseph-François Tassaert, musée Carnavalet.

Dès les premières pages, de courts passages consacrés à tels ou tels personnages peu connus permettent de saisir « l’atmosphère » du 8 thermidor à minuit, même si déjà tout est centré, en bonne logique, sur Maximilien Robespierre. Tout au long du livre, nous sommes conviés à suivre les évolutions politiques heure par heure, une série de petites choses du quotidien servant d’arrière-plan (les naissances enregistrées par l’état civil, les citoyens vaquant à leurs occupations, le répertoire joué ce jour-là sur les scènes théâtrales, etc.). Cette méthode donne de la chair au récit, tandis que de fréquents changements de perspective permettent de voir en même temps des endroits différents de Paris, avec autant de morceaux de vie pris par exemple en six lieux différents à 17h30.

Outre cette plongée très vivante vers le microscopique, la « grande Histoire » n’en reste pas moins présente et Colin Jones livre un récit des événements à la Convention nationale, à la Commune, aux Jacobins, etc. On peut donc cheminer avec lui dans le Paris du 9 thermidor aussi bien aux côtés d’un humble militant révolutionnaire de telle ou telle des 48 sections que d’un protagoniste de tout premier plan, à commencer bien sûr par Robespierre.

Sur le fond, au-delà du récit des faits (l’élimination politique puis physique de Robespierre et d’une centaine de ses partisans), Colin Jones met bien en lumière l’aspect largement improvisé du coup de force opéré à la Convention nationale, mais aussi la pagaille qui règne alors aussi bien parmi les adversaires de Robespierre que parmi ses partisans. Le « goutte-à-goutte » des nouvelles, la diffusion des rumeurs, tout conduit à rendre les événements confus, et nulle trace n’existe de complot soigneusement organisé depuis des semaines voire des mois, a fortiori nulle trace de conjuration.

La place du « peuple » en débat

Quant à l’idée que la Convention nationale aurait pris les devants pour déjouer une prétendue conspiration de Robespierre, et non une volonté de mener à bien une énième purge avec cette fois quelques Conventionnels visés, elle est également balayée par Colin Jones. Est-il pour autant exact d’écrire que les Parisiens se mobilisèrent « en nombre pour soutenir une assemblée élue au suffrage universel masculin », et que « le choix du peuple [fut de défendre] les institutions plutôt que les personnes » ? À lire l’ouvrage, on a davantage l’impression que ni la Commune, favorable à Robespierre, ni la Convention n’ont réussi à mobiliser des hommes armés en très grand nombre. Plus exactement, la Commune est parvenue à rassembler devant l’hôtel de ville un nombre conséquent de sans-culottes, mais encore aurait-il fallu qu’ils ne désertent pas peu à peu la place pour rentrer chez eux avant que la force envoyée par la Convention investisse la Maison commune et que le dénouement du drame se précipite.

Exécution de Robespierre et de ses complices conspirateurs contre la liberté et l’égalité : vive la Convention nationale qui par son énergie et surveillance a délivré la République de ses tyrans, estampe anonyme, 1794, Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.

Interpréter le tout comme le fait que le peuple « réel », le « bon » peuple, se détournerait à ce moment d’un « tyran » isolé et défendu par une poignée de partisans – ce que ne fait pas Colin Jones, mais comme on le lit parfois – relève cependant du contresens manifeste. À la Convention nationale, il s’est agi d’écarter Robespierre, mais il est difficile d’en conclure comme le fait l’auteur que cela relève d’une « victoire conjointe des députés élus et des Parisiens ». Comme Françoise Brunel l’avait montré, une minorité de Conventionnels montagnards attaque alors Robespierre et ce sont les contradictions internes à la Montagne qui éclatent au grand jour, non la volonté d’une majorité de l’Assemblée. Quant aux « Parisiens », force est de constater également que leur mobilisation, pour ou contre le coup de force, est loin d’atteindre le niveau de mobilisations antérieures telles que celles des 31 mai et 2 juin 1793.

Le défi des sources

L’ouvrage de Colin Jones se lit de manière agréable et permet donc de suivre précisément les événements sans modifier en profondeur ce que nous savions déjà sur les faits. Certes, plusieurs points peuvent être discutés, et quelques erreurs factuelles auraient pu aisément être gommées. Plus essentielle est cependant la question des sources mobilisées pour l’ouvrage.

Colin Jones a opéré de larges dépouillements aux Archives nationales et dans d’autres fonds, même si nombre de documents avaient déjà été repérés par Albert Soboul et surtout Paul Sainte-Claire Deville (historien par trop oublié aujourd’hui et à qui Colin Jones rend justement hommage). De la même manière, Colin Jones a beaucoup lu, tout à la fois dans l’historiographie disponible mais aussi dans les sources imprimées (journaux, rapports, procès-verbaux, Mémoires, etc.). Toutefois, une très grande partie de ces sources imprimées et des documents manuscrits se compose de témoignages postérieurs aux 9 et 10 thermidor, ainsi les rapports des autorités des sections de Paris ou encore les différents souvenirs et Mémoires, sans oublier le fameux Rapport de Courtois très postérieur et publié en versions en partie différentes. Certes, l’ensemble est bien sûr digne d’intérêt, néanmoins peut-on suivre tout ce qui y est écrit ? Dans le livre de Colin Jones, nombre de dialogues, à la base comme au plus haut sommet du pouvoir, reposent sur ce type de sources. Un lecteur non averti risquerait fort de tout prendre pour argent comptant. Comment faire autrement ? Comment proposer un récit des faits alors qu’une partie majeure des sources est politiquement plus que tendancieuse ? Faire des choix s’avère nécessaire. Ceux de Colin Jones servent incontestablement son récit des événements.

Échapper aux interprétations hâtives

En dépit de ces sources pour le moins problématiques, et en dépit de ces fréquents échanges oraux rapportés d’après elles, Colin Jones parvient à conserver une distance et à conclure de manière juste. Sa « postface » en guise de conclusion le montre avec clarté, tout au moins pour qui veut bien se donner la peine de lire son ouvrage sans a priori défavorable à Robespierre et sans obsession de voir le « thriller » s’achever avec la mort d’un « dictateur » ayant perdu tout soutien populaire. Colin Jones démontre également comment le gouvernement révolutionnaire (synonyme ici de gouvernement d’exception) et les mesures répressives de la terreur ne constituaient pas la cible première de ceux qui s’opposèrent alors à Robespierre. C’est dans un second temps seulement que Tallien (et d’autres avec lui) invente, à l’automne 1794, le prétendu « système de la terreur » attribué aux vaincus de thermidor, faisant ainsi de la « chute » de Robespierre un événement clé [1].

En ce sens, les dernières lignes de la postface s’offrent avec une limpidité particulière (p. 503) :

La journée ne fit l’objet d’aucune planification préalable, ou si peu, ni par Robespierre ni par ses adversaires. Elle ne fut ni préparée ni prévue. Elle arriva. […] Ce qui s’est passé le 9 thermidor ne fut pas un mouvement pour renverser le gouvernement, mais pour le défendre contre de supposés conspirateurs. C’est seulement avec le passage du temps que l’histoire serait réécrite de manière à faire croire qu’il s’agissait d’une attaque contre un homme et contre le système de gouvernement qu’il était prétendu diriger.

Colin Jones, La chute de Robespierre. 24 heures dans le Paris révolutionnaire, traduit de l’anglais par Christophe Jaquet, Paris, Fayard, 2024, 624 p., 27 €.

par Michel Biard, le 10 juin

Pour citer cet article :

Michel Biard, « Le 9 Thermidor minute par minute », La Vie des idées , 10 juin 2024. ISSN : 2105-3030. URL : https://mail.laviedesidees.fr/Colin-Jones-La-chute-de-Robespierre

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Notes

[1Sur ce prétendu système : Jean-Clément Martin, La Terreur. Vérités et légendes, Paris, Perrin, 2017 ; Michel Biard et Marysa Linton, Terreur ! La Révolution française face à ses démons, Paris, Armand Colin, 2020.

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