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Ce que la philosophie veut dire
Entretien avec Quentin Skinner


par Florent Guénard , le 3 mai 2019


Quentin Skinner a profondément renouvelé l’histoire des idées en insistant sur la nécessité de considérer les œuvres philosophiques comme des interventions dans les débats politiques en cours. Il revient dans cet entretien sur les principaux aspects de son travail.

Quentin Skinner , professeur à l’Université Queen Mary de Londres, est un historien des idées politiques. Il est considéré comme le fondateur de ce qu’on appelle « l’École de Cambridge », selon laquelle les œuvres de philosophie morale et politique doivent être comprises dans le contexte historique qui a présidé à leur émergence. Ces œuvres sont avant tout des actes de langage, qui ont une visée pratique et que l’interprète doit mettre au jour s’il ne veut pas se tromper sur leur signification. Comme tout énoncé, les textes qu’on étudie ont une force intentionnelle, que l’histoire des idées a pour tâche de ressaisir.

C’est dans un recueil d’articles publié en 2002, Visions of Politics. Regarding Method (Cambridge University Press) que Q. Skinner pose les principes de cette méthode de lecture. Ce volume est désormais traduit en français (Visions politiques I. Sur la méthode, trad. par Christopher Hamel, Paris, Droz, 2018). D’autres ouvrages de Q. Skinner sont disponibles en français, notamment : Machiavel, trad. M. Plon, Paris, Seuil, 1989 ; La liberté avant le libéralisme, trad. M. Zagha, Paris, Seuil, 2000 ; Les fondements de la pensée politique moderne, trad. J. Grossman et J.-Y. Pouilloux, Paris, Albin Michel, 2001.

La Vie des Idées : Vous publiez au début des années 1970 un certain nombre d’articles qui insistent sur la nécessité de comprendre le contexte social et politique des œuvres de philosophie afin de saisir leur portée. Ces articles ont été repris en 2002 dans Visions of Politics. Regarding Method, désormais traduit en français. Ils ont fait date dans la manière de comprendre l’histoire des idées. Estimez-vous que ce contextualisme est désormais bien établi et qu’il n’a plus d’adversaire majeur ? Ou estimez-vous que cette exigence méthodologique reste contestée ?

Quentin Skinner : Permettez-moi avant tout de dire à quel point je suis heureux de voir ces textes publiés en français. Je précise qu’ils ont été admirablement traduits par Christopher Hamel, et évidemment, tout semble plus élégant en français, de sorte que cette version est à ce jour la meilleure formulation de ma pensée.

Mon hypothèse herméneutique de départ est que l’on peut distinguer, au sein du langage, deux dimensions complémentaires mais séparées. L’une d’entre elles concerne ce que l’on a traditionnellement décrit comme la signification – la signification des mots, des affirmations, des textes. L’autre dimension concerne le langage comme forme d’action sociale.

J’emprunte à Wittgenstein l’idée que face à n’importe quel énoncé, l’une des questions à se poser est : que fait le locuteur ou celui qui écrit en formulant cet énoncé ? Autrement dit, il nous faut essentiellement envisager nos concepts et leur expression verbale comme des outils – voire comme des armes, pour reprendre la formule qu’affectionnait Nietzsche.

De nombreux doutes ont été émis par des chercheurs de la génération précédente quant à la possibilité de retrouver la signification des énoncés. Je partage ces doutes, et j’ai grandement bénéficié du moment de la déconstruction, qui a insisté sur le fait que – selon la belle formule de Derrida – le langage recouvre toute intention spécifique de communiquer, de sorte que le travail d’interprétation textuelle se retrouve chargé de négocier les ambiguïtés.

Notons cependant que ces doutes ne portent que sur la première des deux dimensions du langage qui peuvent et doivent être distinguées. Si l’on veut comprendre les énoncés, il nous faut aussi traiter la parole et l’écriture comme des formes d’actions sociales. Je soutiens que cette exigence a de nombreuses implications pour l’interprétation de toutes sortes de textes, même si je me suis, pour ma part, essentiellement occupé de textes philosophiques et littéraires. Pour comprendre un texte, quel qu’il soit, il nous faut être capable de retrouver ce qui s’y joue. Est-ce qu’il s’agit d’une dénonciation, ou d’une prise de position en faveur d’une thèse déjà formulée ? Est-ce qu’une chose y est recommandée, ou à l’inverse, dénoncée ? Nous met-on en garde, nous instruit-on, nous rassure-t-on sur un sujet donné ? Est-ce qu’il s’agit d’une satire, d’une parodie ; est-ce que quelque chose y est tourné en ridicule ? Et ainsi de suite, au sein d’une vaste palette d’actes de langages possibles, qui peuvent être performés.

Ma thèse centrale est que l’on peut difficilement prétendre avoir compris un texte à moins d’être en mesure de répondre à ces questions, et que l’on ne peut arriver à une telle compréhension qu’en replaçant les textes étudiés dans les contextes discursifs permettant de démêler ce qui se joue en eux. Les textes que nous étudions doivent être traités comme des interventions dans le cadre de discours et de débats existants ; l’identification du type précis d’intervention qu’ils constituent dans un cas précis doit se situer au cœur du travail d’interprétation.

Vous demandez si cette exigence méthodologique a cessé d’avoir des adversaires de taille. Ma réponse ne peut porter que sur le monde universitaire anglophone. Il me semble qu’il serait honnête d’affirmer que cette démarche prise dans sa généralité y est désormais bien établie. L’énorme succès de la série « Ideas in Context » chez Cambridge University Press – créée dans les années 1980 en vue de promouvoir ce type d’histoire, et qui comprend déjà des centaines de titres – en est un indice. Mais certains points sont encore débattus. L’un d’entre eux porte sur la notion de « contexte ». Beaucoup ont fait valoir, à juste titre en partie, que la prise en compte des contextes linguistiques ne suffisait pas, et qu’il fallait une histoire des idées davantage sociale. D’autres ont remis en question la notion même de « contexte », se demandant si on pouvait l’établir de manière satisfaisante. Certains, enfin, ont rejeté le projet-même d’explication des textes philosophiques en relation avec leur contexte historique, n’y voyant rien d’autre qu’une lubie d’antiquaire.

La Vie des Idées : Vous êtes spécialiste de la Renaissance et du XVIIe siècle. Il faut, selon vous, comprendre les textes philosophiques de cette période comme des actes de langage qui sont des éléments de débats politiques précis, afin de saisir l’intention des auteurs au moment où ils écrivent. Mais est-ce que cette lecture contextualiste ne risque pas de gommer ce qu’il y a de spécifiquement philosophique dans ces textes, qui ne sont pas des tracts politiques ?

Q.S. : Voilà un doute qui me semble intimement lié au troisième type de critique que je viens de mentionner. Permettez-moi de tenter de répondre en proposant comme exemple l’ouvrage que j’ai publié au sujet de Hobbes. J’ai cherché, entre autres, à montrer que pour comprendre sa théorie de l’obligation politique, il nous faut reconnaître qu’elle a en partie été élaborée en réaction à la crise qu’était la Révolution anglaise. De nombreux opposants au Commonwealth d’Angleterre de 1649 ont alors invoqué comme objection le fait que ce régime était fondé sur la conquête davantage que sur le consentement, et que, de ce fait, il manquait de légitimité. Cela explique, selon moi, que Hobbes ait été aussi déterminé à insister sur l’idée que conquête et consentement sont compatibles, et que la légitimité politique dépend non pas d’un droit antérieur, mais plutôt du pouvoir qu’a l’État de nous protéger. Ce que fait Hobbes dans le Léviathan, entre autres choses, c’est revendiquer le droit du nouveau régime républicain en Angleterre d’être obéi.

Saisir l’identité des textes que nous étudions, au lieu de nous contenter de nous les approprier.

En ce sens, je dirais que le Léviathan de Hobbes est bien un pamphlet politique, et qu’on peut le situer de manière très précise au sein du débat politique sur l’abolition de la monarchie anglaise en 1649. Mais je ne vois pas pourquoi cette affirmation nous priverait d’une interrogation sur la portée philosophique de l’argument hobbesien. Sa thèse selon laquelle de notre devoir d’obéissance à l’État est coextensif au pouvoir qu’il a de nous protéger me semble tout à fait digne d’être examinée pour elle-même. Rien, dans ma démarche historique, ne nous interdit de continuer à examiner les vertus de cet argument. Je ne m’oppose qu’à ceux qui pensent que l’étude d’une œuvre philosophique a pour seul but de demander quels arguments elle contient, et ce que nous devons en penser. Je dirais qu’en suivant une telle approche purement textuelle, nous ne pouvons pas espérer comprendre le texte en question – comprendre pourquoi le raisonnement s’y construit d’une manière précise, et identifier les fins que ses arguments ont pour but de servir. Je plaide pour que nous tentions de saisir l’identité des textes que nous étudions, au lieu de nous contenter de nous les approprier. Mais c’est là que certains critiques commencent à se plaindre, considérant que je ne suis qu’un antiquaire. Et là, je n’ai plus aucune réponse intéressante à proposer. Il n’est pas possible de discuter avec des gens pour qui le passé n’a aucun intérêt en lui-même ; ce serait comme tenter d’expliquer l’intérêt de la musique à quelqu’un qui admet ne pas avoir l’oreille musicale.

La Vie des Idées : Vous insistez beaucoup dans vos travaux sur la spécificité de la pensée politique moderne, en montrant notamment quels ont été ses fondements. Pensez-vous que nous avons définitivement tourné le dos à cette modernité avec laquelle une partie de la pensée contemporaine a voulu rompre ?

Q.S. : J’imagine que vous faites spécifiquement référence à mon premier livre, The Foundations of Modern Political Thought, publié pour la première fois en 1978. J’ai entre temps cessé de parler de la modernité, et je regrette aujourd’hui que cette catégorie ait à ce point constitué le principe structurant de l’ouvrage. Il est vrai, je pense, que mon analyse n’était pas tout à fait erronée. J’y soutenais qu’en théorie politique, il est possible de parler de condition moderne si deux engagements sont respectés. Il faut, d’abord, que le concept central de l’analyse politique soit la notion d’État. Mon livre restituait le processus conduisant une multitude de juridictions – tant locales que nationales, ecclésiastiques et politiques – à être progressivement subsumées sous l’idée d’un État-nation souverain. Le deuxième engagement que j’ai étudié est l’idée que la religion puisse et doive être envisagée comme relevant de la sphère privée de la vie. Pour moi, l’acceptation de cette valeur découlait de la conviction – de plus en plus répandue dans l’Europe du début de l’époque moderne – selon laquelle l’acceptation de la diversité des croyances était la seule voie vers la paix civile, à condition que ces croyances ne revendiquent aucun pouvoir dans le domaine de la vie publique.

En repensant à ces deux arguments aujourd’hui, je soutiens toujours le premier, dans une certaine mesure. Le monde est encore largement organisé en États-nations distincts. À une époque – celle de la génération précédente –, on a pu croire qu’ils allaient être engloutis par des entités supranationales. Mais ce mouvement semble s’être inversé dernièrement. Les États-nations que sont les grandes puissances mondiales sont toujours les acteurs principaux sur la scène internationale, et ils restent de loin les acteurs politiques les plus importants sur leur propre territoire. En revanche, le deuxième argument – selon lequel la religion doit être traitée comme une affaire essentiellement privée – me semble être le vestige d’une forme de libéralisme à présent discréditée. Rien n’a préparé ma génération au fait que les religions du monde recommenceraient à exiger un rôle dans l’élaboration des politiques des États.

Je dois ajouter qu’il existe d’autres raisons de vouloir, en tant qu’historien, éviter d’écrire sur la catégorie de la modernité. La première est qu’il n’y a pas d’accord sur ce qui est ou n’est pas moderne ni, par conséquent, sur l’usage légitime de la notion. Mais l’objection la plus évidente est que, en se concentrant sur l’émergence de tendances prétendument modernes, on est condamné à écrire un grand récit de type téléologique, et à écarter par-là de nombreux autres récits tout aussi valables qui auraient également pu être écrits au sujet de la même époque historique. Comme vous le dites, la génération actuelle a renoncé à parler de modernité, ce qui me semble, dans l’ensemble, être un bénéfice. Nous sommes aujourd’hui habitués à l’idée que nous vivons à l’ère post-moderne.

La Vie des Idées : La conception républicaine qu’on se fait de la liberté au XVIIe siècle est l’objet d’un grand nombre de vos travaux. Vous montrez notamment sa force critique, contre les partisans de l’absolutisme ou du libéralisme. Comment analysez-vous l’affaiblissement, voire la disparition, de l’idée républicaine à l’âge contemporain ?

Q.S. : Vous avez raison, il y a eu au XVIIe siècle un changement important dans notre manière de comprendre la liberté civile. Aujourd’hui domine l’idée, tout au moins dans le discours politique et les pratiques du monde anglophone, que la liberté est une qualité que l’on attribue aux actions. Plus précisément, pour la pensée libérale, la liberté se définit par la capacité de choisir et d’agir sans interférence. Mais lorsqu’on se penche sur l’histoire européenne au début de la période moderne, on est frappé de voir qu’existait une autre conception de la liberté. Pour ce mode de pensée qu’on appelle « républicanisme », qui prévalait à l’époque, nous devons faire l’hypothèse que lorsqu’on parle de liberté, nous ne nous référons pas à notre capacité d’accomplir des actions individuelles, mais plutôt de jouir d’un statut social particulier. En d’autres termes, la théorie républicaine se focalise sur ce que signifie être une personne libre et considère qu’on doit appeler libre un individu qui n’est pas assujetti à un autre individu. Ce qui empêche d’être libre, ce n’est donc pas l’interférence, mais la domination et la dépendance.

Cette théorie républicaine avance deux propositions qui l’éloigne d’autant plus des orthodoxies contemporaines. La première consiste à dire que vous ne pouvez pas agir librement si vous n’êtes pas une personne libre. L’argument des écrivains républicains est le suivant. Si vous n’êtes pas une personne libre – si vous êtes au contraire assujetti à la volonté de quelqu’un d’autre – alors tout ce que vous ferez sera accompli en étant soumis à la volonté, par conséquent à l’autorisation et à la bienveillance, de la personne à la merci de laquelle vous vivez. Mais cela signifie que vous n’êtes jamais en situation d’agir en suivant votre propre volonté et en faisant ce que vous souhaitez. Vos actions dépendent toutes des permissions que l’on vous accorde. La personne à la merci de laquelle vous vivez peut ne pas interférer dans vos choix, mais il se trouve qu’il sera toujours en son pouvoir de le faire si elle le souhaite. Donc même s’il se trouve que vous jouissez d’une liberté de fait, vous vivrez pas comme un homme libre, mais comme un esclave.

L’autre proposition centrale dans la tradition républicaine est qu’il n’est possible de vivre la vie d’un homme libre que dans un État où le peuple se gouverne lui-même. Le raisonnement ici est le suivant. Pour rester libre dans un État, il faut que les lois en vigueur émanent de votre volonté, ou du moins de ceux qui la représentent. Si ce n’est pas le cas, les lois seront l’expression de la volonté de quelqu’un d’autre, et être assujetti à la volonté de quelqu’un d’autre, c’est la définition qu’on peut donner de l’esclavage. Il s’ensuit que, pour vivre comme une personne libre tout en étant soumis à la loi, il faut que votre volonté ait le droit d’être entendue dans l’élaboration des lois qui vous gouvernent. Mais ce que les républicains font très justement observer, c’est que ceci n’est possible que dans un système démocratique d’auto-gouvernement.

Une transformation conceptuelle majeure s’est à partir de là opérée. La liberté qu’on définissait comme l’absence de soumission est aujourd’hui conçue comme l’absence d’interférence. Avec ce changement, le lien entre liberté et démocratie est rompu. Si la liberté signifie simplement non-interférence, il n’y a aucune raison de supposer qu’on pourra jouir d’une plus grande liberté dans une démocratie plutôt que dans n’importe quel autre régime. Plus encore, il peut sembler que la meilleure forme de gouvernement est celle où un petit nombre de lois seulement est édicté. Désormais la valeur de la liberté en vient à être fortement associée à l’idéal d’un État minimal, spécialement dans les régimes néolibéraux comme l’est celui des États-Unis.

Pourquoi, demandez-vous, a disparu à l’âge contemporain cette manière républicaine de concevoir la liberté civile ? Déterminer quand et pourquoi cette transformation a eu lieu est une question historique complexe à laquelle aucune réponse satisfaisante n’a été donnée. Je me dois d’ajouter que c’est la question à laquelle je travaille dans les recherches que je mène aujourd’hui. Mais il est facile de voir pourquoi cette théorie a peu d’attrait à l’âge contemporain. La première raison est qu’il s’agit d’un idéal de liberté égale. Une des obligations principales de l’État dans cette perspective est de s’assurer, par des moyens légaux, que personne ne tombe dans une situation de dépendance à l’égard d’une volonté arbitraire. Mais l’idéal d’égalité a été largement abandonné dans notre culture, et depuis de nombreuses années on a laissé se creuser les inégalités sociales et économiques à peu près partout. Une autre raison à la disparition des arguments républicains tient au fait qu’est requis, pour la conservation de l’égale liberté de tous, un État fort. Or la plupart d’entre nous vivons aujourd’hui – en Europe et, de manière plus évidente, aux États-Unis – dans des régimes néo-libéraux où le pouvoir de l’État est regardé avec suspicion. On nous explique au contraire (en dépit de tout ce qui s’est passé en 2008) qu’il faut avoir confiance dans la libéralisation des marchés, que c’est là la meilleure garantie de la liberté et de la prospérité.

La Vie des Idées : Vous avez montré que la pensée politique moderne s’était largement constituée à la Renaissance autour du concept de souveraineté. Voyez-vous dans le Brexit une manifestation d’un désir de souveraineté nationale ou le signe d’un dysfonctionnement des démocraties contemporaines ?

Q.S. : La décision du peuple britannique (ou plutôt, la décision des 37,5% du corps électoral) de quitter l’Union européenne a des causes nombreuses, parmi lesquelles certaines ne sont pas très bien comprises. Il est sans nul doute nécessaire de faire appel à des données de démographie sociale. Ceux qui n’ont pas voté en faveur du « leave » sont en général citadins, jeunes, et ceux qui étaient les plus susceptibles de voter contre le Brexit étaient des personnes titulaires de diplômes universitaires. Vous avez peut-être raison de dire que la question de la souveraineté nationale a joué. Le ressentiment à l’égard des pouvoirs réglementaires de la Commission européenne et les décisions de la Cour européenne de justice a certainement joué. Mais depuis le référendum de 2016, deux lignes d’argumentation ont émergé. Certains désapprouvent ce qu’ils estiment être la préférence marquée de l’Union européenne pour les politiques économiques néo-libérales et son refus de permettre aux États membres d’aider publiquement leurs industries. Un groupe plus important a exprimé son hostilité envers l’engagement de l’Union européenne en faveur de la liberté de mouvement. L’une des raisons qui expliquent cette attitude, c’est le fait qu’après l’élargissement de l’Union, l’immigration à grande échelle qui en a résulté en Grande-Bretagne a probablement eu un rôle dans la baisse des salaires. Mais il faut aussi admettre qu’il y a dans cette réaction un élément d’insularité, voire de xénophobie – ce dont se plaignent toujours plus un grand nombre de ressortissants étrangers qui vivent au Royaume-Uni.

Vous mentionnez également le dysfonctionnement des démocraties contemporaines. Ce qui est incontestable, c’est que nous avons pu observer les failles de la constitution britannique depuis que nous avons voté le Brexit. Le bon fonctionnement du gouvernement dépend en effet de l’exécutif et celui-ci est choisi en fonction du parti majoritaire à la Chambre des communes. Cela fonctionne correctement dans un système bipartite qui ne fait aucune place à la représentation proportionnelle, puisque le gouvernement dépose alors des projets de loi dont il sait qu’ils seront adoptés. Mais le gouvernement actuel n’a pas de majorité stable, et ses tentatives pour faire adopter une législation très controversée n’ont pas conduit à autre chose qu’au chaos. Les Britanniques se considèrent comme un peuple politiquement équilibré, ce qui explique sans doute que l’hostilité récente à l’UE vient aussi du fait que nous nous sommes ridiculisés aux yeux de l’Europe.

par Florent Guénard, le 3 mai 2019

Pour citer cet article :

Florent Guénard, « Ce que la philosophie veut dire. Entretien avec Quentin Skinner », La Vie des idées , 3 mai 2019. ISSN : 2105-3030. URL : https://mail.laviedesidees.fr/Ce-que-la-philosophie-veut-dire

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