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Évocation de Verdi

À propos de : A. Tubeuf, Verdi de vive voix, Actes Sud.


par Pauline Lambert , le 20 décembre 2010


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André Tubeuf propose une analyse de l’œuvre de Verdi, et avant tout de la place

des voix dans ce répertoire. Cet ouvrage est davantage un récit littéraire écrit par un

amateur éclairé au gai savoir, qui s’est formé par l’écoute attentive des œuvres du

compositeur italien, qu’une étude musicologique détaillée des œuvres de Verdi.

Recensé : André Tubeuf, Verdi de vive voix. Actes Sud / Classica – 2010. 281 p., 17 €.

Un an après son ouvrage remarqué sur Beethoven, qui avait reçu le prix de l’Essai 2009 de l’Académie française, André Tubeuf offre au lecteur un cheminement tout à fait personnel à travers l’immense œuvre vocale de Verdi, à commencer par le Requiem, qui est certes une œuvre de la maturité de Verdi, mais qui a représenté pour l’auteur une véritable révélation – au sens propre comme au sens figuré – lors d’un concert en 1953 au Théâtre des Champs-Élysées, dans lequel se produisait notamment Elizabeth Schwarzkopf, magnifique initiatrice. La remémoration de ce concert, extrêmement détaillée, montre à quel point cet ouvrage n’est pas une nouvelle biographie du compositeur italien, mais bien un parcours proposé au lecteur dans l’œuvre de Verdi, à travers le prisme des souvenirs de représentations et des écoutes d’André Tubeuf. Plusieurs temporalités se croisent en effet dans cette étude et en forment la trame : la biographie du compositeur, la temporalité propre au livret, auxquelles s’ajoutent l’histoire des différents interprètes qui ont marqué les rôles et enfin les souvenirs de concerts ou d’opéras. Dans cet entremêlement de temporalités, ce sont les souvenirs et la mémoire de l’écrivain qui constituent le fil directeur de l’ouvrage.

Le parti pris d’André Tubeuf, annoncé dès le début de son étude, est clair : il veut analyser certaines œuvres du compositeur italien, sans prétendre à l’exhaustivité ni à l’impartialité, Rigoletto, Il Trovatore (Le Trouvère), La Traviata, bien sûr – œuvres qui forment la « trilogie populaire » – mais aussi Macbeth, Simone Boccanegra, Un Ballo in maschera (Un Bal masqué – opéra qui a connu un échec cinglant à sa création), Don Carlos, Aida (le premier triomphe incontesté de Verdi), Otello et Falstaff. André Tubeuf ne s’arrête cependant pas aux quelques airs populaires qui font l’immense succès de Verdi, comme par exemple le chœur des Israélites en exil, Va pensiero, chœur de Nabucco qui imposa Verdi comme compositeur patriote, généreux et vibrant. Une description toute personnelle de ces œuvres est proposée par l’auteur, passionné d’opéra pour qui « comme le chant élargit, épanouit la voix, ainsi l’opéra épanouira le théâtre » car il permet un « double processus de resserrement (dramatique) et d’amplification (chantée). »

André Tubeuf offre ainsi au lecteur une étude de Verdi « de vive voix », car il s’agit avant tout d’une analyse des types de voix et de timbres propres à ce répertoire, ainsi que des interprètes qui ont marqué l’histoire de ces rôles. Il étudie par exemple une spécificité de l’écriture de Verdi, qui représente une véritable innovation dans la conception des rôles à l’opéra et qui est l’absence d’airs pour certains personnages principaux. Dans Aida par exemple, Amneris, personnage autoritairement présent, voire envahissant, ne chante aucun solo – paradoxe qui marque une rupture dans l’histoire de l’opéra et que Verdi reprendra par la suite dans d’autres œuvres.

L’auteur souligne en outre la place particulière des barytons basses dans l’œuvre de Verdi, qui sont traditionnellement relégués à des rôles secondaires : Simone Boccanegra est par exemple le premier ouvrage de Verdi dans lequel les deux rôles principaux sont confiés à des barytons basses, et Rigoletto introduit la prééminence des barytons dans les caractères masculins. C’est ainsi que le Metropolitan Opera de New York a pu programmer en 1932 Simone Boccanegra, opéra encore décrié à l’époque, car il disposait de deux magnifiques artistes, Lawrence Tibbett et Ezio Pinta ; face à eux, le ténor et la soprano, qui font d’ordinaire le succès des opéras de Verdi, ne sont plus que des faire-valoir, même s’il s’agissait dans cette distribution de Giovanni Martinelli et Elisabeth Rethberg, chanteurs de renom. Est-il besoin de citer aussi Falstaff, dernière œuvre de Verdi, impressionnante par son sens de la fantaisie, de la bouffonnerie et de la féérie et dont le rôle-titre est tenu par un baryton basse à la stature impressionnante, antihéros burlesque.

Mais la voix dont il est question dans le titre est surtout celle d’André Tubeuf, tour à tour passionnée, enthousiaste, sévère aussi et qui donne à cet essai une dimension tout à fait personnelle, qui peut parfois agacer par sa partialité. L’accumulation de références implicites, de renvois à d’autres œuvres de Verdi ou du répertoire peut rendre le texte fastidieux pour le profane ; l’ouvrage s’adresse d’abord à tous ceux qui, déjà familiers de l’œuvre de Verdi, pourront prendre plaisir à lire une analyse fine et détaillée des voix, des interprètes et des thématiques présentes dans l’œuvre de Verdi. L’étude se termine, comme tous les ouvrages édités chez Actes Sud / Classica, par une chronologie succincte – trop succincte malheureusement – et par une discographie, qui n’évite que par moments l’écueil d’être une « catalogue des mille et trois » disques à écouter.

Verdi de vive voix est aussi une analyse littéraire des œuvres de Verdi car si le compositeur n’a pas écrit lui-même ses livrets d’opéra comme Wagner, il n’a cessé d’imposer à ses librettistes de nombreuses coupes pour condenser et ramasser le drame. Ses livrets, et notamment ceux de Macbeth, Otello, Falstaff, Don Carlos, Luisa Miller (tiré de Kabale und Liebe) et Ernani s’inspirent des plus grands dramaturges européens, Shakespeare, Schiller et Hugo. La mise en musique des pièces de Schiller n’a cependant rien d’évident et révèle l’intelligence dramatique de Verdi. Car pour André Tubeuf, « rien ne se construit moins en scénario que les idées, la hauteur de vue ; rien ne se prête moins à devenir personnage lyriquement palpable, sonore, vibrant, que ces grands personnages très véridiquement venus de l’Histoire, mais idéologiquement traités, aplatis. » On pense ici à Mallarmé, qui affirme dans une lettre à Degas qu’on ne fait pas de la poésie avec des idées, mais avec des mots. Aida révèle aussi ce sens profond de la dramaturgie. Si les personnages n’ont en effet aucune épaisseur dramatique ni vérité intérieure, s’il manque la correspondance entre la situation représentée sur scène et l’intensité du chant, il n’en demeure pas moins que le livret est un modèle d’agencement dramatique : le ballet et le défilé, qui ne sont dans d’autres opéras que des divertissements obligés, des pauses dans la narration, sont ici parfaitement intégrés à l’action et permettent de mettre en présence différents personnages, d’où découlent affrontements passionnels et rebondissements dramatiques.

La réécriture de Simone Boccanegra, plus de vingt ans après sa création en 1857, par un Verdi auréolé du succès d’Aida et du Requiem, montre aussi le souci de la mise en valeur des ressorts dramatiques profonds de l’opéra, pour en extraire la « substantifique moelle » : alors que la version initiale de l’œuvre hésite, selon l’expression d’André Tubeuf, entre un « feuilleton d’enfants volés et une fresque historico-escapiste », la concentration de l’action et le resserrement dramatique autour de l’appel à l’union des partis au-delà des querelles de clans donnent un nouveau visage à cette œuvre qui a trouvé un écho tout particulier en Italie dont l’unité était encore en construction.

Verdi resserre le temps musical, qui devient alors le temps réel : dans le premier et le quatrième acte d’Otello par exemple, temps musical et temps de l’action coïncident. Verdi rompt par là avec le décalage conventionnel à l’opéra entre le temps supposé de l’action et son étirement musical. C’est ce souci du resserrement dramatique qui explique notamment pourquoi Verdi a progressivement abandonné le chant décoratif, pur divertissement, avec ses myriades de vocalises virtuoses, caractéristiques du bel canto, pour lui préférer une vocalité accompagnant le drame. Pour André Tubeuf, Verdi est avant tout un homme de théâtre : musique et chant ne sont rien s’ils ne sont d’abord action, êtres vivants, tension.

par Pauline Lambert, le 20 décembre 2010

Pour citer cet article :

Pauline Lambert, « Évocation de Verdi », La Vie des idées , 20 décembre 2010. ISSN : 2105-3030. URL : https://mail.laviedesidees.fr/Evocation-de-Verdi

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