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Recension Politique

Dossier : 2022, l’énergie du politique

Battre la campagne

À propos de : Claire Sécail, Les meetings électoraux. Scènes et coulisses de la campagne présidentielle de 2017, Presses universitaires du Septentrion


par Laurent Godmer , le 4 mars 2022
avec le soutien de AFSP



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Les meetings sont souvent au cœur de la couverture médiatique des élections présidentielles. Rite de campagne, moment de rencontre entre un candidat et son public, le meeting est surtout un répertoire d’action collective scrupuleusement codifié qui dépasse les clivages partisans.

Si la vie politique française sous la Ve République est indéniablement scandée par les campagnes présidentielles, par quoi ces dernières sont-elles elles-mêmes scandées ? Alors que le développement du numérique et de l’information en continu, et le déclin du militantisme partisan traditionnel semblent condamner des pratiques de mobilisation classiques, les meetings sont-ils un répertoire condamné à la disparition ? Ou sont-ils au contraire voués au renouveau dans des campagnes électorales valorisant la personnalisation et des qualités de tribun ? L’ouvrage de Claire Sécail, illustré de nombreuses photographies, donne une réponse à ces interrogations. L’autrice, chercheuse au CNRS, montre que la scansion de la période de campagne électorale s’opère par le biais des meetings, dispositifs spectaculaires et moments cruciaux qui lui donnent son visage et nourrissent les mémoires. Elle documente ethnographiquement les « réalités matérielles, stratégiques et organisationnelles d’une campagne électorale, livrant de multiples traces sur des micro-pratiques militantes ou sur des volontés stratégiques » (p. 383). Cette technique de campagne visant à mettre en valeur les candidats est analysée grâce à l’observation de 26 meetings. Son ouvrage s’inscrit dans l’ensemble des travaux français qui explorent les différents aspects des campagnes électorales publiés depuis le début du XXIe siècle, dans le sillage notamment des livres de Christiane Restier-Melleray (Que sont devenues nos campagnes électorales ? L’éclairage par la succession de J. Chaban-Delmas en 1995) et d’Yves Pourcher (Votez tous pour moi ! Les campagnes électorales de Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon (1986-2004)), qui furent publiés respectivement en 2002 et 2004. Mais son originalité réside dans le fait qu’il se focalise non sur une campagne, mais sur un des répertoires de mobilisation qui la structurent. C’est le pendant contemporain de l’étude historique de Paula Cossart, Le meeting politique. De la délibération à la manifestation (1868-1939), publiée en 2010. Claire Sécail décrypte à la fois les multiples formes et les usages contemporains des meetings, une pratique codifiée et sophistiquée où la médiatisation joue un rôle central.

La codification d’un répertoire de campagne

Grâce au regard panoramique qu’elle porte sur son objet (« j’ai voulu saisir le meeting sous tous ses angles », p. 29), Claire Sécail précise pointilleusement les « règles du jeu » régissant les meetings ; elle inventorie les usages différenciés de ceux-ci (p. 39-64) : « meetings de lancement de campagne », « symboliques » (le meeting toulousain de clôture de campagne du Parti socialiste), « de conquête » (dans des « terres de mission »), « de combat » contre un adversaire désigné, « de crise » (pour François Fillon et Benoît Hamon), « de rassemblement » (de la base), « de proximité » (mini-meetings), de la « société civile ». Les règles sont contraignantes : « Le meeting présidentiel est un outil du faire campagne particulièrement astreignant. » (p. 94) Les cinq grands candidats (sur onze), sur lesquels se focalise l’étude, recherchent la visibilité par un maillage territorial (toutes les régions ont accueilli des meetings sauf la Guyane), même si « François Fillon est le seul candidat à avoir tenu meeting dans toutes les régions métropolitaines (mais c’est aussi celui qui en a organisé le plus grand nombre) » (p. 72). L’originalité d’Emmanuel Macron a été d’organiser des meetings hors de France (à Berlin et à Londres), tandis que quatre villes reçoivent au moins cinq candidats (Lille, Lyon, Paris, Marseille). Ces rassemblements doivent donc être nombreux (31 pour François Fillon, 24 pour Emmanuel Macron, 23 pour Benoît Hamon), et, s’agissant de l’affluence, il convient de recourir à la « technique du trop-plein intentionnel » (p. 270), pour conjurer l’image désastreuse de rangs clairsemés. Le meeting est ainsi une double épreuve : « d’abord une mise à l’épreuve des corps » (p. 381), mais aussi une épreuve de force, qui réussit peu à Benoît Hamon et à François Fillon, contrairement à « Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, dont la dynamique de campagne est suffisamment bonne pour leur permettre de remplir aisément les salles » (p. 270), et même de s’adresser à un deuxième public à l’extérieur de celles-ci. La différence est cependant nette entre les deux pour l’observatrice : « [l]a qualité tribunitienne indéniable du candidat Mélenchon » contraste avec les performances de « l’orateur plus laborieux qu’est Emmanuel Macron » (p. 318), les émotions mises en scène étant le produit d’une orchestration par la Team Ambiance des Jeunes avec Macron, par le biais de stimuli et d’outils numériques omniprésents. Enfin, le meeting doit s’adapter au rythme de la campagne : « [l]a dimension temporelle d’une campagne est donc tout aussi cruciale que ses aspects matériels et territoriaux. » (p. 75-76) En conséquence, les meetings sont des rites coûteux. De manière originale, Claire Sécail dissèque les archives de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) qui traduisent la force des normes pratiques susdécrites, tant les sommes dépensées pour les réunions publiques sont proches dans les déclarations des candidats (6,3 millions d’euros pour Jean-Luc Mélenchon, 6,1 pour Benoît Hamon, 5,8 pour Emmanuel Macron, 4,9 pour Marine Le Pen et 4,8 pour François Fillon).

Une dramaturgie sophistiquée

L’organisation des meetings se professionnalise. La scénographie est très sophistiquée, même s’il y a des problèmes techniques ou des perturbations comme les « casserolades » accompagnant les meetings de François Fillon, candidat qui fut en outre enfariné le 6 avril 2017 à Strasbourg. L’ouvrage donne à voir la complexité du meeting, « un lieu où parviennent à se mêler différentes générations d’outils de la communication politique » (p. 28). Les détails attestent la personnalisation qui est au cœur du déroulement des meetings : Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron s’expriment généralement sur une scène centrale sans fond ; le deuxième dispose d’un « pupitre de président » (p. 109). Espace de « monstration d’émotions » (p. 289), y compris négatives, le meeting a une « fonction divertissante » (p. 143) ; il « ne se réduit pas […] au discours du candidat » (p. 171), même si ce dernier constitue le « climax du meeting » (p. 187). Les soutiens (familles, parti, ralliés) sont mis en scène dans une atmosphère « people » (comme l’attestent les entrées triomphales de Brigitte Macron). Une division du travail hiérarchisée s’observe entre les proches des candidats (orateurs, chauffeurs de salle, porte-parole) et entre les militants (rabatteurs, « ambianceurs », animateurs) : la cartographie des meetings met au jour « les positions hiérarchiques et symboliques du petit monde qui gravite autour du candidat » (p. 246), de sorte qu’il peut mettre en lumière la curialisation des entourages. L’impératif dramaturgique implique une conformation des candidats à une norme spectaculaire : par exemple, « [l]e 19 mars, pour son grand meeting de Bercy, Benoît Hamon renoue avec les impératifs de l’exercice et s’affiche pour la première fois aux côtés de la conjointe dans les loges avec les photographes et les journalistes. » (p. 233). Le meeting électoral présidentiel s’inscrit dans cette grammaire homogénéisée, qui inclut enfin une injonction à l’inventivité et au renouvellement du rituel : « [i]l s’agit symboliquement de paraître innovants » (p. 152), une obligation bien respectée par le candidat de la France insoumise avec ses meetings holographiques : « [l]a véritable innovation […] est l’utilisation de cette technique en direct et sur la scène elle-même. » (p. 161) La modernisation des pratiques provient aussi des publics, comme l’illustre le « rostrumfie », le selfie du sympathisant réalisé derrière le pupitre du candidat après la fin du meeting.

Toutefois, le respect de ces codes admet des micro-variations, par exemple pour les choix musicaux (l’autrice observant p. 123 un « lien de plus en plus distant entre l’identité politique d’un parti et son identité musicale »), ou pour les choix révélateurs des drapeaux utilisés : si depuis les années 1930, le drapeau français est présent dans les meetings, la tradition de son agitation semble avoir été inventée en 2007, qui fut suivi par maintes adaptations. Un drapeau américain est agité par un militant pro-Trump lors du meeting de Marine Le Pen à Lyon le 5 février 2017, des drapeaux britanniques et grecs sont visibles dans les meetings de François Asselineau, qui s’exprime à côté des drapeaux francophone et onusien. Seul le public macroniste agite également le drapeau européen, banni de nombreux meetings, les drapeaux régionaux abondant dans les meetings de Marine Le Pen, le drapeau indépendantiste catalan à étoile rouge étant aperçu dans une réunion de Jean-Luc Mélenchon. Ces micro-pratiques sont révélatrices de l’effacement apparent des partis (« les symboles partisans sont les grands absents de la campagne », p. 136) : « Le 7 mars, à Marseille, je vois plus de drapeaux d’EELV que du PS s’agiter pour soutenir Benoît Hamon » (p. 212).

Les meetings ne sont donc pas uniformes et leur déroulement conserve des singularités (une garderie chez François Asselineau, une pluie de confettis tricolores chez Marine Le Pen, l’opposition d’Emmanuel Macron aux sifflets…). Elles traduisent la distance entre les univers sociopolitiques : ainsi, pour les dons, les militants « marcheurs » circulent avec des terminaux de paiement, ceux du Front national (dont les meetings sont devenus gratuits) tendent un grand drapeau où l’on lance des billets, les militants de Nicolas Dupont-Aignan se contentant d’un chapeau. Des cris de ralliement distincts se font entendre (« On est chez nous » chez Marine Le Pen, en alternance avec « La France aux Français » ; « Résistance » chez Jean-Luc Mélenchon) ; Pour l’entrée en scène, « Emmanuel Macron aime les longs bains de foule » (p. 181), alors que « Jean-Luc Mélenchon est le candidat des entrées en scène sans fioritures ni excès de pathos » (p. 183) ; à la fin des meetings, l’hymne national est omniprésent (« L’Internationale » est en recul chez Jean-Luc Mélenchon), chanté en général les bras le long du corps, mais « à l’américaine » chez Emmanuel Macron (mains sur le cœur et yeux fermés). On le voit, cet utile inventaire des idiosyncrasies partisanes renseigne de manière significative sur les « pratiques concrètes du faire campagne » (p. 384).

Médiatisation et médiacentrisme

L’analyse interne des meetings menée par Claire Sécail ne néglige pas le fait qu’ils s’adressent essentiellement à un public extérieur, par le biais des médias. La présence des acteurs du champ médiatique influe fortement sur la perception de cet événement de campagne : « Sonore et flamboyant, le meeting est une scène qui vise à assurer la visibilité du candidat, frapper les consciences et séduire le plus grand nombre. À cette fin, il a besoin de la caisse de résonance médiatique » (p. 327). L’enjeu logistique pour les centaines de journalistes parfois présents est central (points de stand up, signals video, cars satellite, badges…) et l’architecture spatiale même du meeting est liée à la médiatisation (salle de presse, « carré » presse au cœur de la salle), processus qui peut être conflictuel : des journalistes sont malmenés (ainsi que l’autrice) dans des meetings de François Fillon et de Marine Le Pen. Si le public mélenchoniste est aussi marqué par un discours anti-médias, il ne s’attaque pas pour autant aux journalistes présents. À rebours de l’hypothèse de la pacification des mœurs politiques qui serait ajustée au processus de civilisation décrit par Norbert Elias, l’autrice est « marquée par l’agressivité de la campagne et en particulier les attaques manifestées à l’égard de la presse par certains publics de meetings » (p. 15). Elle porte un regard très (trop ?) bienveillant sur le travail journalistique et la « fonction démocratique » (p. 379) des journalistes, se concentrant sur la presse nationale, les enjeux locaux des meetings, notamment pour les médias régionaux étant peu évoqués. Malgré cela, certaines pratiques ne laissent pas d’interroger, qui révèlent des « failles » majeures dans les pratiques médiatiques, comme l’illustrent trois exemples : premièrement, de nombreux supports sont nettement politisés, loin du « principe de neutralité cher à la profession » (p. 337) ; deuxièmement, des journalistes ayant reçu le discours des candidats en version numérique et papier se concentrent sur cette version, et quelques-uns brisent l’embargo en tweetant des extraits ; et, troisièmement, en l’absence de bus presse, la désertion peut être importante dans les meetings provinciaux : « Le 28 février, Emmanuel Macron est en meeting à Angers. Prévue à 19 h, la prise de parole prend du retard et le candidat En Marche monte finalement sur scène à 19h45. Au bout d’une heure, la moitié des journalistes (ceux des rédactions nationales) sont déjà repartis en direction de la gare sans attendre la fin de son discours, afin d’attraper le dernier train pour Paris à 21h 09. » (p. 348) Ce type de scène traduit l’intérêt heuristique de la méthode ethnographique et le désenchantement inhérent au dévoilement scientifique.

Le meeting demeure un répertoire de campagne majeur, pour son public direct et encore plus parce qu’il s’adresse à un autre public par le biais des médias : « l’outil conserve intactes ses propriétés stratégiques permettant au candidat de faire la preuve de son charisme présidentiel, de rassembler son camp, de se choisir des adversaires, d’occuper l’espace médiatique, de toucher les indécis. » (p. 382) Se pencher sur ce répertoire est salutaire, mais l’observer isolément peut faire oublier qu’une campagne est un ensemble de pratiques liées les unes aux autres, qui se traduisent par un flux continu d’images dans lequel s’insère le moment hyper-personnalisé et contrôlé qu’est le meeting. La médiatisation de ce dernier ne limite que partiellement le caractère relativement clos des campagnes (symbolisé par le fait qu’« en 2017, les publics de meetings devraient s’inscrire en ligne », p. 124) et leur caractère ritualisé. Si l’autrice explore peu le caractère quasi religieux des meetings, elle évoque toutefois la « communion militante » (p. 288), « la sortie en apothéose [qui] revêt parfois un caractère plus religieux dans les récits » (p. 207), des prières collectives de fillonnistes. Or, le meeting repose sur une liturgie qui est faite d’un « enchaînement d’actes quasiment immuable » (p. 208). La médiatisation – et c’est le risque d’une lecture médiacentrique – peut par conséquent faire écran à l’analyse, qui met en lumière des « gagnants » d’une compétition entre meetings qui n’est pas forcément corrélée à la compétition électorale générale. C’est ce que montre le culte de la personnalité entourant deux des candidats dans les meetings qui les célèbrent, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron : « Les deux formations mouvementistes, en Marche et la France insoumise, renvoient une image d’unité et de force dont la presse fait écho. » (p. 210) Le « vibrant discours du 18 mars sur la Place de la République » (p. 177) du premier et généralement ses performances de tribun introduisent un biais d’optimisme, ses soutiens pouvant croire en son élection, tant il est auréolé des succès de ses meetings. Les meetings sont loin d’être condamnés à disparaître, tant leur scénographie est adaptée à la fois à la personnalisation des campagnes présidentielles et tout simplement au besoin d’images qu’implique la médiatisation. Ils sont une épreuve de la capacité d’un candidat à jouer le jeu de la campagne, même si les compétences tribunitiennes qui s’y donnent à voir sont loin d’être suffisantes pour s’imposer. Dès lors, si les meetings sont censés être les miroirs d’une dynamique, on peut se demander s’ils ne sont pas aussi des mirages.

Claire Sécail, Les meetings électoraux. Scènes et coulisses de la campagne présidentielle de 2017, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2020, collection « Espaces politiques », 403 p., 22 €.

par Laurent Godmer, le 4 mars 2022

Pour citer cet article :

Laurent Godmer, « Battre la campagne », La Vie des idées , 4 mars 2022. ISSN : 2105-3030. URL : https://mail.laviedesidees.fr/Battre-la-campagne

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